Terrasse à drague

La terrasse lui semblait parfaite. Le parquet, ciré mais quelque peu glissant et irrégulier, prenait une ambiance feutrée avec les bougies flottantes qu'elle avait disséminées en grand nombre partout où elle avait pu. Intérieurement, Kit se félicita d'avoir ignifugé Théier Maraudeur et Commandante Couvre-Chef. Invoquant une musique, elle laissa sa tasse à thé fétiche gérer l'ambiance, frétillant entre les cocktails et les ravinalas de toutes tailles.
Kit entendit des pas derrière elle et se retourna.

Je m'étais laissée entraîner par Vhan, piochant allègrement dans le plateau qu'il tenait dans ses mains. La terrasse était à l'air libre et possédais de nombreuse niches où s’asseoir. L'air frais vivifia ma peau et j'enlaçais mon mari par derrière, posant ma joue contre son dos chaud et confortable. Il dû stopper net dans sa progression mais j'entendis quand même son ronronnement de plaisir.

Je le relâchais et l'emmenais près du balcon pour nous poser sur un pouf confortable tout en profitant de la vue.

L'arbre-fou de Kit se déplaçait toujours, créant un petit balancement régulier. Je me demandai comment il faisait pour conserver son équilibre, des racines n'étant pas vraiment adaptées à la marche...
Reportant mon attention sur ma reine, je m'émerveillai encore et toujours de sa beauté et sa grâce. Je souris et caressa amoureusement sa main. Il était si rare d'avoir des moments comme ceux là, loin de tout, presque du monde. Comme lorsque je n'étais pas encore roi... À cette pensée, je glousse en retenant l'idée.

-Bonsoir charmante créature ailée. Je m'appelle Vhan Tout-court. Puis-je avoir l'impudence de me joindre à vous en cette fraîche soirée ?

Vhan Tout-court. C'était comme ça que je m'étais présenté à elle la première fois. Je préservais mon anonymat de futur souverain, et finalement j'avais bien fait car elle m'avait accepté, moi et mon titre.

Je souris franchement à l'idée de Vhan. Une petite virée dans le passé, c'était à ça que l'on jouait. Les règles étaient simples : pas de royauté, un monde sans fioritures, de la joie de vivre. J'étais prête pour ce jeu.

- Vhan Tout-court, n'est-ce pas ? Si l'idée de côtoyer une fille des champs ne vous effraie pas...

Je piochais allègrement dans le bol de friandises avant d'en engloutir une petite poignée avec un sourire espiègle. Le jour de notre rencontre, Vhan Tout-court était affublé d'un capuchon qui cachait des vêtements simples. Je me souviens de mon cœur qui battait fort ce jour là. L'adrénaline. L'inconnu. Autant de choses nouvelles et palpitantes pour la jeune Eôs de 16 ans. Sa réplique m'avait rassurée et nous avions alors continué à discuter comme si de rien n'était, les pieds dans l'eau de la rivière, parlant de tout et de rien avec une gaieté sans nom.

Propulsée depuis les chambres à chapeaux, Kit s'écrasa violemment sur le visage de Vhan et retomba mollement sur les genoux d'Eôs. Genoux !! Kit se roula en boule et se mît à ronronner, patounant avec bonheur le ventre de son nouveau siège. Pas mal, pas mal du tout ... Elle ouvrit doucement les yeux, et vit les visages de deux de ses invités oscillant entre la colère, l'incrédulité et ... peut-être une lueur d'amusement. À moins que ce soit de la gène ? Kit s'étira, sauta à terre et commença à se nettoyer la patte arrière sur un air de salsa.

-Et bien pour une fille des champs, vous êtes d'une beauté sans pareil, répliquai-je avec un sourire charmeur. Sans mentir, si je possédais d'aussi belles ailes, je vous transporterais jusqu'au jardin de Laoni !

Eôs pouffa de rire en entendant le même genre de niaiseries que je sortais à cette époque. En ce temps, j'étudiais la poésie. Je ne trouvais pas alors d'utilité à cette matière jusqu'à ma rencontre avec ma promise. En y repensant, nous étions d'un mielleux affligeant.

-Et puis-je avoir votre nom, ô douce ailée ?

Replonger dans le passé était fort plaisant et je remarquais que cela nous faisait beaucoup de bien. La guerre avait presque réussi à nous faire oublier ces moments heureux...